La fermeture de C8 : inquiétude des citoyens pour la liberté d'expression
Hubert de Meuse
3/12/20258 min temps de lecture
Le 14 février dernier le discours du vice-président américain J. D. Vance à Munich a provoqué une stupéfaction qui n’est pas sans rappeler, presque cinquante ans plus tôt, le message d’Alexandre Soljenitsyne à Harvard, tançant un parterre de futures élites médusées. Ce qui est particulièrement frappant, est la résonance des deux leçons entre elles sur bien des sujets parmi lesquels le sujet de l’opinion en général, des médias en particulier ; et notamment que son plaidoyer en faveur de la liberté d’expression fut reçu par de nombreux médias comme une manifestation d’hostilité, un discours à charge, une nouvelle marque d’ingérence entre autres.
C’est à peu près au même moment que se tenait à Briare la première consultation citoyenne de notre laboratoire d’idées mobile Héraclès, qui a vocation de recueillir les préoccupations, les souhaits, les conseils, les inquiétudes de notre peuple. Il a été édifiant de constater que l’inquiétude témoignée auprès des élites européennes par une des personnes les plus influentes au monde résonnait avec celle de la France rurale, la France oubliée, grande perdante de la mondialisation : le mal-être qui nous est apparu portait très précisément sur la liberté d’expression. Et les intuitions de nos citoyens consultés, se trouvaient confirmées par l’actualité et la fermeture de la chaîne télévisée C8, événement au cœur des discussions. L’Arcom (ex-CSA) a décidé de retirer l’agrément à la chaîne de divertissement C8 et en dommage collatéral celle d’NRJ12. Cette rupture est motivée par des « dérapages » pour lesquels des amendes importantes ont été infligées, un manque de rigueur financière et éditoriale, autant de reproches considérés comme rompant le contrat d’octroi de la TNT (télévision numérique terrestre) et de son cahier de chargesassocié. Pour autant, ces reproches n’ont convaincu, ni les intéressés ni les téléspectateurs : la chaîne est celle qui fait les meilleures audiences (TNT), qui monétise le mieux ses programmes, qui a un actionnariat solide (M. Bolloré) et pour ce qui est des prétendus dérapages, de nombreuses chaînes concurrentes ont subi l’ire du gendarme télévisuel sans être réduites au silence. C’est sur ce sujet que les doutes de nos concitoyens consultés à Briare se font le plus pressants : « c’est de la censure », et une interrogation lancinante : « Est-on toujours en démocratie ? ». La conscience que l’impératif de « faire taire les voix alternatives » conduit à un conformisme obligatoire, une nouvelle « bien-pensance » et même un « début de dictature ? ». Dans tous ces proposrestitués volontairement pêle-mêle, se trouvent des questions d’une grande profondeur, d’une grande lucidité, et notre rôle, celui d’Héraclès est d’y faire écho en bon ordre.
La première question très pragmatique que pose cet événement unique est celui de la mise en perspective institution-proportion-légitimité. En effet, l’Arcom est une institution au sens où elle détient un pouvoir de régulation coercitif. Cependant, ses membres ne sont pas élus mais nommés par des politiques et des grands magistrats (présidents de la République, de l’Assemblée Nationale, du Sénat, de la cour de cassation et vice-président du conseil d’état). Ces neufhiérarques détiennent ainsi un pouvoir très important, celui d’autoriser ou d’interdire une chaîne ayant comme tous les médias (mais particulièrement la télévision) une influence considérable sur l’opinion publique. Un tel pouvoir est-il légitime ? la question se pose à une période de l’histoire de notre république où la consultation populaire (le référendum) est craint par les politiques et où en parallèle, C8 était plébiscitée par les Français, tout particulièrement l’émission TPMP. Celle-ci se démarquait à la fois par une façon originaled’aborder les questions d’actualité et la pluralité de ses invités reflétant l’ensemble de l’échiquier politique (y compris les « pestiférés »). Ce faisant, l’émission en question participait pleinement aux débats politiques, sociétaux, économiques ou institutionnels qui intéressent nos compatriotes. De surcroît, l’interdiction de C8 a été entérinée par un jugement à un moment où la confiance en une justice indépendante et impartiale n’a jamais été aussi faible. La question de la légitimité d’institutions dotées de pouvoirs considérables sans contrôles populaires se pose donc. Qui détient la souveraineté en France, le peuple ou des administrateurs ? La liberté d’expression de notre peuple dépend de la réponse à cette question. La question se pose également sur le fond où la décision paraît non seulement disproportionnée par rapport aux reproches formulés, mais également par rapport aux sanctions prises à l’encontre de chaînes concurrentes. Deux poids, deux mesures en somme. Et c’est très précisément ces deux questions qui interrogent sur l’arbitraire de la décision et qui permettent aux personnes concernées comme à d’autres observateurs d’y voir une décision politique directement prise à l’Élysée. Qu’est-ce que le pouvoir suprême aurait à reprocher à C8 et à son émission phare, de divertissement, certes, mais abordant des questions politiques ? Nous émettons, et nous ne sommes pas les seuls, l’hypothèse que l’accusation principale porte sur la diversité des invités et par là un risque majeur de voir des opinions considérées comme subversives s’exprimer. Et les exemples sont nombreux : laisser parler des personnalités au discours aussi énergique que troublant, comme celle de l’avocat controversé Maître di Vizio, prolixe sur les thèmes du confinement ou de la liberté individuelle. Ou encore les représentants du Rassemblement National faisant preuve de tempérance sur des sujets graves et face à des opposants hostiles, au risque de rendre audiblesleurs arguments. En bref, C8 se serait rendue coupable d’avoir trop donné la parole à onze millions d’électeurs. Pourtant,c’est la stricte définition de la liberté d’expression que de permettre à des opinions contraires de s’exprimer sans contraintes physiques ou judiciaires. Avant que M. Bolloré ne se décide à investir dans l’industrie médiatique, quels médias se proposaient de refléter la diversité des opinions composant notre société française ? Aucun, en fait. M. Patrick Cohen, sur C’est à vous, affirmait même que certaines pensées (sic)étaient délictuelles et donc passibles de condamnations. Pol pot n’y aurait rien trouvé à redire ! L’évolution du paysage médiatique avec l’émergence de chaînes plurielles telles CNews et C8 a bousculé et dérangé ceux qui tentaient jusqu’ici de façonner seuls l’opinion. Il fallait un message.
Si l’on change de point de vue pour sortir du cas particulier de C8, une autre question vient à l’esprit : quels sont les leviers de l’interdiction de parole, qu’est-ce qui permet, dans un paysage politique fracturé de justifier une injonction au silence ? Comment, mis à part des justifications administratives à géométrie variable, identifier les prémicesd’une censure à venir ? Il y a près de deux ans, dans une séance de questions au gouvernement le sénateur Ravier interrogeait la ministre de la culture de l’époque Mme Rima Abdul-Malak sur les amendes records que subissait déjà la chaîne C8. Sa réponse fut éloquente, elle fustigeait « l’atteinte à la dignité des personnes » évoquant les propos peu amènes il est vrai, entre MM. Boyard et Hanouna. Le problème de l’indignation est qu’elle est un phénomène imperméable selon l’endroit où l’on se place : en clair, une personne pourra s’indigner de ce dont se réjouit une autre. Dans toute société la pluralité des convictions propres, des croyances religieuses (ou athées du reste), des opinions en général fera que l’on s’indignera de tel propos, de telle action, fût-elle triviale : on ne peut justifier un interdit de parole sur une justification morale là où la morale n’a rien à faire. L’esprit Charlien’était-il pas de défendre le droit au blasphème y compris par ceux qui, comme votre serviteur, ne goûtent point cet humour ? C’est ce raisonnement qui dictait à Voltaire son célèbre mot : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire ». Le procès en indignité n’a aucune limite, est prétexte à tous les interdits liberticides et surtout ne laisse aucune place à la contradiction, c’est encore une fois un jugement aussi arbitraire que définitif, implacable, quasi-religieux.
Il faut, pour finir, répondre aux inquiétudes de nos compatriotes rencontrés à Briare, en particulier celle de savoirsi la liberté d’expression est en danger en France. Pour répondre valablement à cette question effrayante et lourde de conséquences, il faut procéder à une mise en perspective de laliberté par rapport à la vérité. Pour bien comprendre la difficulté de ce dilemme, nous devons replacer l’interrogation dans le cadre où elle est posée : la société marchande et libérale qui est la nôtre aujourd’hui. Une telle société est fondée sur l’idée que la vérité n’est connaissable que par le choix issu de la confrontation des opinions librement débattues. Tel est le postulat du libéralisme politique.
Or, le corollaire des nombreux avantages de nos démocraties occidentales est (de façon consensuelle) le profit comme horizon indépassable et, sur plan politique, le succès d’une opinion sur les autres. En conséquence, « tous les coups sont permis ». De loin en loin, le levier concurrentiel par excellence s’étant révélé le plus efficace est le mensonge. Pourquoi ? Parce que si les faits ne justifient pas une décision politique, il n’y a pas d’autre solution pour façonner l’opinion que de les maquiller. Les exemples noirciraient trop de pages, mais par acquis de conscience citons feu M. Powell exhibant une fiole à l’ONU pour justifier une guerre terriblement meurtrière : le mensonge est légion en Occident. Nous vivons littéralement sous l’empire du mensonge. Quel rapport avec la liberté d’expression ? Il y a plusieurs problèmes. D’abord il faut bien comprendre que le mensonge, à force d’être répétésans contredit, (c’est tout le problème que pose la pluralité médiatique de C8 à l’Arcom), peut ainsi devenir une vérité, une, entière, acceptée. Le second problème est que le rapport (de force) à la vérité (la vraie) n’est pas du tout le même en cas de confrontation autour d’une vérité perçue de différentes façons comme le débat d’idées par exemple. Le mensonge se confronte à la vérité, de façon massive, totale. Pour reprendre l’exemple de la guerre en Irak et des « armes de destruction massive » de Saddam Hussein, l’enquête de Hans Blix(inspecteur de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique) qui l’a très rapidement amené à comprendre le mensonge, n’a pas donné lieu à un débat ou à une discussion. Il a été la cible d’attaques épouvantables, d’une campagne de discrédit, d’indignité, ce qui l’amènera à jeter l’éponge, écœuré. A l’inverse, le mensonge n’admet pas ni dialogue, ni discussion plurielle, ni débat courtois. L’adversaire devient un ennemi de guerre civile, il faut impérativement le réduire au silence.
Pour conclure cette brève analyse, oui, chers habitants de Briare vous avez raison de vous préoccuper de votre liberté d’expression, elle est en danger. L’interdiction de la chaîne C8n’est qu’un précédent, il y en aura d’autres, soyez-en certains. Mais dans votre inquiétude bien naturelle, ne perdez pas de vue le rôle néfaste de nos institutions qui loin de garantir nos libertés, manipulent parfois la seule souveraineté légitime, celle du peuple. Enfin, gardez-à l’esprit que dans toute censure, tout refus du débat, toute réduction au silence se cache, quel qu’en soit l’artifice juridique, un ou des mensonges intéressés.
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