Les politiques climatiques et le régime ESG : une menace pour l’agriculture française ?

Mathilde Paris

3/12/20253 min read

Les politiques climatiques et le régime ESG : une menace pour l’agriculture française ?

Quelques jours après la clôture du Salon International de l’Agriculture 2025 à Paris

auquel des membres de l’équipe d’Héraclès se sont rendus pour échanger avec les

acteurs du monde agricole, nous avons pu mesurer combien les tensions restent

vives. Alors que le gouvernement français tente d’apaiser la colère des agriculteurs

avec des mesures d’urgence, la pression réglementaire issue des politiques

climatiques et des exigences de reporting ESG (critères environnementaux, sociaux

et de gouvernance) inquiète de plus en plus les professionnels du secteur. Un rapport

récent du Buckeye Institute analyse les conséquences des politiques net-zéro sur

l’agriculture aux États-Unis et en Europe, mettant en lumière les difficultés auxquelles

les exploitants français pourraient être confrontés dans les années à venir.

Une augmentation des coûts de production insoutenable

Selon le rapport, les exigences de réduction des émissions de gaz à effet de serre,

couplées à des obligations de reporting ESG, entraîneraient une augmentation

significative des coûts de production. En France, où les agriculteurs doivent déjà

composer avec des marges réduites, cette inflation des charges pourrait mettre en

danger de nombreuses exploitations. Le prix des engrais, largement dépendants du

gaz naturel, a déjà connu une envolée ces dernières années, et les réglementations

visant à réduire l’usage des intrants azotés risquent de creuser encore plus l'écart

entre coûts de production et prix de vente.

Le rapport cite l’exemple des Pays-Bas, où la pression réglementaire a conduit le

gouvernement à acheter et fermer des exploitations agricoles pour réduire les

émissions de nitrates. Un scénario similaire en France provoquerait une réduction de

la production nationale et une dépendance accrue aux importations, mettant en péril

la souveraineté alimentaire du pays.

Des exigences ESG pénalisantes pour les exploitants

La directive européenne CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) impose

aux entreprises, y compris aux exploitations agricoles, des obligations strictes en

matière de transparence environnementale. Le rapport souligne que ces obligations

pourraient se traduire par des coûts administratifs élevés, notamment pour les petites et moyennes exploitations, qui devront consacrer du temps et des ressources pour se mettre en conformité.

En effet, avec la directive CSRD, les exploitations agricoles elles devront :

• mesurer et publier leurs impacts environnementaux (bilan carbone, usage des

ressources, gestion des déchets, impact sur la biodiversité),

• évaluer les risques climatiques et adopter des stratégies de réduction des

émissions

• rendre compte de leurs pratiques sociales et de gouvernance (conditions de

travail, relations avec les fournisseurs, lutte contre la corruption).

Bien que les petites exploitations agricoles ne soient pas directement concernées,

elles seront impactées indirectement par les exigences imposées aux grandes

entreprises agroalimentaires, aux coopératives et aux distributeurs.

Par ailleurs, les banques européennes, sous pression pour verdir leur portefeuille de

prêts, deviennent plus réticentes à financer les exploitations à forte intensité carbone.

Certains agriculteurs pourraient ainsi se voir refuser des crédits indispensables à la

modernisation de leur outil de production, faute de pouvoir prouver un engagement

suffisant en matière de durabilité environnementale.

Une hausse des prix alimentaires inéluctable ?

Les conséquences de ces politiques ne se limitent pas aux seuls agriculteurs. Le

rapport estime que l’augmentation des coûts de production agricole se répercutera

inévitablement sur les prix alimentaires. Aux États-Unis, les modélisations montrent

que le prix des produits alimentaires de base pourrait augmenter de 15 %, avec des

hausses pouvant atteindre 70 % pour des aliments comme le bœuf ou le fromage. Un

tel scénario en France accentuerait la crise du pouvoir d’achat et générerait de tensions sociales croissantes.

Quelle alternative pour une agriculture durable et viable ?

Si la nécessité de réduire l’empreinte carbone de l’agriculture est largement reconnue,

le rapport met en garde contre une approche trop brutale, qui pourrait fragiliser un secteur déjà en difficulté. Une transition réussie vers une agriculture plus durable

devrait s’accompagner d’incitations financières, d’un soutien technique aux

exploitants et d’une meilleure reconnaissance des spécificités agricoles dans les politiques environnementales.

Face à ces enjeux, le gouvernement français devra trouver un équilibre entre

exigences climatiques et viabilité économique des exploitations. Parmi les solutions envisagées :

• Des aides financières pour accompagner la transition vers des pratiques plus

durables.

• Un assouplissement de certaines règles européennes pour éviter une trop forte

distorsion de concurrence avec les pays non soumis aux mêmes obligations.

• Une meilleure reconnaissance du rôle des agriculteurs dans le stockage du

carbone et la préservation des écosystèmes pour valoriser leurs efforts.

Alors que les revendications du monde agricole ont été fortement relayées durant le

Salon de l’Agriculture 2025, il appartient aux décideurs français et européens de

trouver un équilibre entre objectifs climatiques et réalités économiques. Une politique climatique mal calibrée risque non seulement de fragiliser les exploitants, mais aussi d’accroître la dépendance alimentaire de la France et de pénaliser les consommateurs.